dimanche 11 mars 2012

Essai d'éthique, Partie V : Le principe d'accommodation.

Peut-on finalement échapper à la dissociation? Peut-on échapper au nihilisme?

Afin de dépasser la dualité entre la dissociation (thèse vitaliste) et l'association (antithèse éthique), j'en viens à proposer un troisième « mouvement » qui rejoint mon expérience de la méditation et du Taijichuan, un mouvement qui échapperait à toute dissociation, une synthèse qui rejoint le principe même du monisme matérialiste...

La dissociation étant au fond une pulsion fondamentale de l'être, le seul principe qui m'apparaisse contrer ou neutraliser cette volonté ne serait sensible que dans un état d'équilibre entre ces deux mouvements, un état de non-mouvement, de non-agir... un état de lucidité. Ceci me semble la seule possibilité pour que le mouvement soit originel, conscient et lucide, le seul qui ne soit pas une perte du soi dans l'autre, que ce soit en réaction ou proaction. Je nomme le mouvement réalisé dans un tel état l'accommodation (qui rejoint le principe Taoïste du non-agir).

 Ainsi, le mouvement « autre » de la dissociation est l'accommodation.

L'accommodation est en soi un mouvement d'ajustement qui conserve l'unité et l'intégrité du soi, en harmonie avec l'ensemble de la réalitéCe faisant, il demeure réellement un dans un tout, et ce en deux manières : un en lui-même et un avec l'extérieur, d'où l'état d'harmonie. L'harmonie doit nécessairement être un état indéterminé pour demeurer fluide selon les circonstances et la réalité qu'elle doit constamment écouter, accompagner.

Nous saisissons bien que l'accommodation est un principe de la réalité et qu'il se retrouve dans l'ensemble de celle-ci. La vie même n'est bien sûr pas seulement dissociation, mais manifestation de l'accommodation, qu'on appelle aussi adaptation. Notre synthèse ne devrait donc pas surprendre outre mesure.


Notons toutefois que l'accommodation est dénuée de toute connotation de sacrifice du soi pour l'autre (ou pour la réalité). S'il y a sacrifice (collapsing), il n'y a pas réelle accommodation, puisque l'intégrité du soi est délaissée pour satisfaire la réalité extérieure qui s'impose alors sur son propre état (il y a donc perte du soi). Ce qui caractérise justement l'accommodation est la constance de l'état d'harmonie interne (intégrité), fondamentale pour l'harmonisation avec la réalité. Ainsi, les réalités n'entrent jamais en conflit ; il n'y a pas de choc ni d'impact. Le « corps » perd sa connotation de « rigidité » pour se faire solide et malléable...


Cette manière d'être, tout en décrivant bien l'état de Taiji, réalise le principe fondamental et premier du monisme matérialiste : un état matériel indéterminé... Ainsi peut-on dire que c'est la seule manière d'être qui soit conforme à la réalité prise dans son ensemble, en toute lucidité. C'est une vie selon le principe même de l'apeiron. C'est finalement la seule réelle éthique (déduite d'une ontologie moniste matérialiste).

Lorsque Anaximandre laisse dans la pierre les traces de sa pensée, il insiste sur la nécessité du mouvement de la réalité, qui oscille entre la génération et la corruption. Si la génération est un mouvement de dissociation, la corruption est l'essoufflement de cet élan de dissociation ; c'est alors que ce qui apparût retourne à sa source, à un état indéterminé (sorte de substrat matériel). La dissociation est soumise à la nécessité temporelle puisqu'elle est « contre-nature », « contre-réelle ». Elle est temporelle, finie, déterminée. Pour Anaximandre, la corruption est la justice de ce qui apparaît : tout doit retourner expier sa faute originelle, sa dissociation de la réalité entière et originelle...

Notre éthique d'accommodation serait la seule perspective véritablement lucide face à la réalité, même si cette lucidité implique de se délaisser des illusions faciles qui sont le fruit de la dissociation. C'est vivre la vie pleinement sans s'y accrocher (y voir la valeur de la réalité, de notre réalité), sans peur de la fin de celle-ci, sans y chercher du sens, donc sans espoir. Vivre sans peur ni espoir, en toute lucidité. C'est certainement la seule perspective véritablement objective, et donc l'état nécessaire à l'esprit humain pour qu'il puisse réaliser pleinement une science de la réalité à travers sa propre vie.

Comprendre la réalité n'implique pas nécessairement la connaissance des causes aux apparences et aux phénomènes. Elle implique seulement la conscience éclairée de l'état de soi. La connaissance des causes sert au contrôle des phénomènes ; le contrôle des phénomènes est la meilleure excuse pour l'esprit qui refuse de s'accommoder ou de s'ajuster à ce qui est dans le respect de ce qui est. La science moderne est fondamentalement en non respect de l'être... mais elle est l'épiphénomène de l'esprit humain proprement vivant, en guerre pour faire valoir sa vie dans la réalité.

Peu se trouveront non offensés de se faire dire combien toutes les illusions humaines (et même humanistes!) contribuent à une morale nihiliste et agressive. Ce peut paraître une bien sombre critique. Elle est pourtant nécessaire pour dégager l'esprit humain de sa propre illusion bien naturelle et facilement « justifiée ». Elle n'est seulement aucunement justifiée du point de vue de l'idéal moral et de la responsabilité qui revient à tout être doué de conscience et de raison. Tout autre point de vue sera un éloge de l'inconscience et de la déresponsabilité.

Voici donc une éthique qui met fin au nihilisme.

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4 commentaires:

  1. Encore une fois, c'est aborder la question d'une façon complètement inattendue pour moi (bien qu'il s'agisse d'une sorte de retour aux sources!!!)! Intéressant. Est-ce que des auteurs ont déjà consciemment "justifier" le nihilisme sur ce monisme matérialiste et sur la dissociation originelle vivant/non-vivant (comme fondement d'une éthique vitaliste/naturalisante)? À notre époque, j'ai aussi l'impression qu'on ne se presse pas pour unifier la notion d'éthique dans notre "rapport au monde" à l'éthique dans nos relations entre humains.

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  2. De nos jours, parler de métaphysique c'est un peu comme signer un arrêt de mort philosophique. Tant de penseurs affirment avoir mis un clou définitif dans le cercueil de celle-ci, la rejetant dans les fables de l'esprit humain archaïque...

    Le seul auteur contemporain qui me vient à l'esprit dans l'optique « matérialiste » et « nihiliste » serait Schopenhauer. Cependant, je ne suis pas certain que son éthique aille dans le même sens que la mienne. Son « bouddhisme » le fait renoncer la dictature de la volonté (la vie n'étant que l'expression de La Volonté) en se plongeant dans la contemplation et le détachement. Mon éthique semble plus « taoïste ». J'insiste sur les guillemets.

    Encore, je ne peux me permettre une réponse certaine. Il est vrai que j'anticipe depuis un long moment ma lecture du Monde comme volonté et représentation, mais ce n'est pas encore actualisé...

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  3. Je suis plus familier avec une conception politique du nihilisme et il me semble qu'on ne le fait pas tant originer d'une conception du monde que d'une conception de l'être humain. À explorer!!

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