mercredi 29 février 2012

Religion de l'Amour...

« L'amour est l'état dans lequel les hommes ont les plus grandes chances de voir les choses telles qu'elles ne sont pas. » Nietzsche n'hésite pas à expliciter ce que signifie la « religion de l'amour » (Antéchrist, §23)...

mardi 28 février 2012

Politeia, partie I : Démocratie et technocratie

La démocratie est une frontière entre l'anarchie et le totalitarisme.

Même s'il serait adéquat ici d'approfondir le sens de la démocratie, ce qui serait en soi un projet phénoménal, je laisse cela de côté pour poser une question de fond : est-elle un régime politique ou économique? Je m'explique.

Certes, la démocratie est traditionnellement tenue comme un régime politique caractérisé par une organisation du pouvoir donné « au peuple » et dont l'instance décisionnelle suit la norme de la majorité dans un cadre égalitaire (chaque citoyen n'a qu'une seule voix). Or, puisque la responsabilité citoyenne appartient au peuple (population), celle-ci est partagée avec une seconde responsabilité qui apparaît souvent bien plus nécessaire : la production de richesse économique. Autrement dit, le citoyen est généralement en même temps un travailleur. Or, ces deux responsabilités entrent nécessairement en conflit dans la vie des mêmes individus, surtout au niveau du temps consacré à chacune de ces activités (participer au processus de décision vs se concentrer à ses intérêts économiques particuliers), mais aussi parfois au niveau des intérêts divergents sur des mesures précises (conflits d'intérêt). Le grand défi de la démocratie réside dans la coexistence harmonieuse de ces deux responsabilités.

Cependant, là où il y a défi, il y a dangers. Le premier et principal danger, c'est la disparition d'une responsabilité au profit d'une autre. Évidemment, l'économique étant nécessaire aux conditions de vie (personnelle et sociale), seuls des caractères exceptionnels choisissent de se délaisser des richesses pour une vie politique ; on voit plutôt l'exercice politique se concentrer chez les héritiers d'un certain capital, qui jouissaient donc d'une certaine autonomie économique (noblesse, bourgeoisie, etc.). C'est finalement et de manière bien générale le politique qui est délaissé pour des « affaires plus pressantes ». Pour donner l'impression que cette responsabilité existe toujours, un subterfuge politique, qu'on voit aussi comme un compromis, s'est inscrit en son sein : le vote de représentants.

Le vote des représentants des chambres décisionnelles est la mise en place de responsables politiques tirés parmi la classe de ceux qui sont économiquement autonomes et désirant y participer. Ce sont eux qui deviennent les véritables citoyens. Le peuple finit par avoir un droit de sélection (élection) de ses gouvernants (une minorité de privilégiés). Il s'agit d'un subterfuge car le peuple a l'impression d'avoir un droit de regard sur les décisions politiques alors qu'il délègue cette voix "en toute légitimité". En fait, le pouvoir n'est plus « au peuple ». Ce n'est plus une démocratie, mais un régime oligarchique élu.

Cette déresponsabilisation va cependant dans le sens des volontés d'un peuple qui valorise davantage la vie économique que la vie politique. Cependant, le « bonheur » de la population dépendra entièrement des moeurs et caractères des gouvernants qu'elle élit, ce qui est en soi un danger. La question sera de savoir quels intérêts les gouvernants prisent : les intérêts privés du peuple, les intérêts privés des groupes économiques (lobbys), ou les intérêts publics. On verra donc les tendances changer selon la proximité d'élections, avec toutes les techniques de « l'achat de votes » qu'on connaît très bien. On verra planer un certain cynisme face au politique, cynisme en partie bien justifié.

De manière générale, une telle organisation politique se veut efficace, mais elle transforme la société non en groupe politique mais en territoire économique. Ceci crée une transformation essentielle de la relation entre les individus de la collectivité. Bien qu'on y conserve une égalité de droit, elle se perd dans les faits : si les citoyens sont essentiellement des agents égaux en fait, les travailleurs sont soumis à des relations hiérarchiques reliées au domaine de la technique de production. Ainsi, une démocratie de travailleurs, qu'on peut se permettre d'appeler technocratie, est foncièrement inégalitaire dans les rapports et responsabilités décisionnelles. De fait, même la classe politique finit par se présenter comme une classe de travailleurs, d'administrateurs, de gestionnaires. L'État devient cette grosse machine à créer de la richesse et dont les institutions économiques tirent profit.

C'est une tendance bien naturelle : n'est-elle pas est fondée et justifiée strictement sur la nécessité biologique et psychologique, qu'elle exploite sans pudeur avec toute son ardeur? La technocratie est une des tendances totalitaire de la démocratie moderne, même si elle ne conserve le terme « démocratie » que par tradition idéologique.