mercredi 16 novembre 2011

Peut-on se passer de religion?

La religion est une institution (politique) d'éducation morale.

Cette définition nous permet de mieux saisir les enjeux qui la concerne. Affirmer qu'on puisse se passer de religion, c'est en quelque sorte affirmer qu'on puisse se passer d'éducation morale. Cette thèse suit deux principes. Premièrement, que l'éducation morale puisse être dirrigée par une autorité morale, ce qui implique la reconnaissance d'une telle autorité. Deuxièmement, que la moralité suit un certain idéal.

Toute religion est dépositaire d'un idéal moral qu'elle pose en absolu dans une relation avec le divin (l'idée de cet idéal). En tant qu'institution, elle se donne un rôle éminemment pédagogique, ce qui suit une vision hégémonique (répendre le bien). Mais l'éducation suit l'humain toute sa vie, dans toutes ses facettes. Elle oriente donc la saisie de l'expérience en vertu de l'idéal qu'elle véhicule. C'est pourquoi elle tend à l'intégrisme : elle veut maintenir l'intégrité morale du tout (social) et de ses parties (individus). Cependant, le but de l'éducation étant de transmettre une réalité conçue comme fondamentale à l'humain, l'éducation morale réussit lorsque l'individu porte en lui la moralité. Ainsi, l'éducation religieuse réussit lorsque les individus portent en eux une moralité, justifiée dans une foi dans l'idée de l'idéal, le divin. Le croyant est celui qui a foi dans l'idéal, puisque celui-ci n'est pas ; il doit être. Le moral s'impose donc au réel.

L'institution religieuse cherche donc à subsumer le réel au moral (divin). Le réel sera donc interprété en fonction non pas de lui-même, mais en fonction des vérités morales, les seules qui importent. [Nous voyons ce même système dans les écoles philosophiques dogmatiques : voir le stoïcisme et l'épicurisme.] Le Credo est la conception du monde découlant de la vérité morale révélée. Le Credo sert à confirmer la vérité révélée, rassurant les individus dans leur foi morale. Malheureusement, elle finit par dire que la réalité est telle qu'elle doit être car soumise à la volonté du dieu. C'est bien triste car, même s'il est vrai que la moralité et que l'idéal aient plus de valeur que l'être seul, cet être conserve cependant sa propre valeur qu'il faut savoir reconnaître en soi et non en un autre (autorité intellectuelle et morale). Ainsi, l'éducation morale est indissociable d'une lucidité, qui est la vertu intellectuelle du jugement. La moralité doit s'imposer dans notre volonté (coeur) plus que dans notre intelligence. Celle-ci doit faire face à une réalité (la nature) qui impose sa forme, à notre peur et désespoir. En cherchant à rassurer, le dogme nous réduit à des « animaux » (volonté = coeur = désir = animal - cf. Aristote).

Peut-on donc se passer de religion? La religion élève pourtant l'enfant à l'adulte. Elle échoue seulement dans son obstination à imposer l'intégrité de la nature à la morale. Elle ne doit pas chercher réponse à tout mais laisser place et cultiver les questions qu'elle soulève : ces questions sont ce qui font passer l'humain de l'enfance à l'adulte ouvert et lucide. Sa finalité est donc la vie philosophique.

Se passer de religion sera cependant le but des sophistes : que l'humain soit la mesure de toutes choses. L'important étant le politique, le moral s'y soumet. Il n'y a pas de morale absolue, seulement convenue et voulue. Pour le sophiste, toute moralité, toute valeur, doit laisser place à la discussion. La morale n'est humaine que lorsqu'elle est discutée et convenue par des humains, non quand elle se révèle (quand elle révèle un idéal) comme elle s'impose à l'enfant. Misant sur l'autonomie humaine, le sophiste veut l'humain seul maître de ses valeurs.

La philosophie seule permet de rejoindre la sophistique et la religion : la réflexion permet de dépasser la convention en reconnaissant la valeur réelle et véritable d'un idéal moral absolu et nécessaire, laissant l'adulte libre et autonome (responsable) de sa moralité, sans excuse politique.

Peut-on se passer de piété?

Je soulève cette question aux détracteurs de la religion. La piété est la réelle valeur cultivée par l'éducation religieuse. Elle consiste dans la foi en un idéal moral supérieur et absolu, donc universel. C'est bien une de ces vertus qui enveloppe toutes les autres car le respect de l'idéal est nécessaire pour toute intégrité morale. Il n'y aurait donc aucune vie morale sans piété. Autant l'idéal impose son autorité sur notre moralité, autant la loi, voix de la justice, impose son autorité légitime au citoyen vertueux. Veut-on se passer de citoyens respectueux des autorités légitimes?

Les sophistes supportent mal toute autorité non humaine : elle doit être à notre hauteur pour la mener là où nous la voulons, qu'elle serve la voix de l'humain et non celle de la justice. L'autorité, selon les sophistes, est bien arbitraire. Notre démocratie libérale relativiste est un projet sophistique voyant le jeu des intérêts prédominer le souci de moralité dans toutes les sphères d'action. Ne voyons-nous pas comme un bien moderne la moralité retranchée dans la sphère privée, lieu sans valeur sociale, sans discussion publique?

Voulons-nous d'un monde, d'une politique arbitraire imposant la convention comme principe de légitimité? Nous voilà face au danger fondamental de toute société, qu'elle soit démocratique ou non. Telle est la force du politique qui s'impose sur la morale, et sur la religion. Notre société cultive les sophistes, mais combien de religieux sont des sophistes? N'oublions jamais que la religion demeure une institution politique. Sans philosophie, nous demeurerons dans ces conflits d'intérêts. Voilà notre barbarie bien contemporaine!

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